Chapitre I

15 mai, jour J 

        Yazid

    Ne me demande pas pourquoi j'ai fait ça. Ne me demande pas pourquoi je suis partie, pourquoi j'ai tout laissé. Je ne saurais te répondre. Il est des choses qu'on fait sans en connaître la raison.

    Ne m'en veux pas, et ne te blâme pas. Notre discussion d'hier n'a rien à voir avec ma décision. Il fallait que je parte.

    Je vais traverser la mer. Je traverserai les frontières et passerai de l'autre côté, car je ne peux plus rester ici, à attendre. Rien ne changera si je reste. Peut-être que rien ne changera non plus en partant, mais laisse moi encore l'illusion du contraire, j'en ai tellement besoin.

    Dis à Mama que je reviendrai si vite que je n'aurai pas le temps de lui manquer, et à Baba que je n'oublierai jamais qui je suis, ni où je vais. Ménage aussi Manouche, elle ne doit pas s'inquiéter, son ventre rond a besoin qu'elle reste joyeuse.

    Je t'interdis d'essayer de me rejoindre. Je dois y aller seule. On a besoin de toi, tu es un pilier, tu n'as pas le droit de t'écrouler, tu comprends? Chacun de nous a son rôle. Tu as le tien, ne manque pas à ton devoir.

    Ne m'en veux pas, s'il te plaît. Je t'écrirai, et tu auras intérêt à me répondre. Je te donnerai une adresse, ne t'en fais pas. Ne m'abandonne pas, promets de me répondre, j'aurai besoin de te lire.

    Je t'aime.

    Manar

    France, le 15 mai

    Je tiens le papier, où sont griffonnés ces quelques mots, dans ma main tremblante. Mais pourquoi? Pourquoi a-t-elle fait ça?

    Je me lève du lit. Il ne fait pas encore jour, mais on entend déjà les oiseaux, dehors. Manar, pourquoi? Que vais-je leur dire? Je commence à tourner en rond dans la chambre, encore imprégnée par son parfum, son odeur, sa présence. J'ai cette désagréable impression d'être sur le point de m'effondrer.

    Tu es un lâche, Yazid. Tu n'as pas su la retenir. Comment peux-tu prétendre être un homme? Que vais-je faire Seigneur?

    Mes yeux se posent sur la photo. Elle est si belle. Je dois lui répondre. Elle n'a même pas de téléphone. Elle n'a pas où dormir, et ne connait personne, comment va-t-elle faire Seigneur, comment va-t-elle faire?

    L'idée de ne plus jamais la revoir m'envahit soudain et une vague de désespoir déferle alors sur moi. Je sens mes genoux heurter le sol qui se dérobe sous mes pieds. Les larmes se mettent à couler le long de mes joues, sans que je puisse les retenir.

    Mon Dieu, je t'en supplie, veille sur elle, par pitié, ne l'abandonne pas, ne me retire pas ce que j'ai de plus cher!

    Une petite voix dans ma tête me somme de faire une valise et de sortir de chez moi, mais ses mots résonnent aussitôt; chacun de nous à son rôle.

    Une colombe se pose sur le rebord du balcon. Elle reste là, à me dévisager.

    -                      Je dois être bien minable pour que tu me regardes ainsi... Que dois-je faire selon toi?

    Elle penche la tête sur le côté, puis s'envole. Ma main serre le papier, de peur qu'il ne s'échappe. Je tiendrai. Il faut que je tienne. Je suis son pilier.

    Qu'est-ce qui a bien pu te traverser l'esprit? Pourquoi es-tu allée là-bas? Je me mets à faire les cent pas dans la chambre, puis j'ouvre nos placards, tiroirs, et je fouille son bureau, dans la pièce annexe. Elle n'a pas pris grand chose, quelques vêtements de rechange, son appareil photo avait disparu, ainsi que son matériel d'écriture. Manar, ne vas pas faire quelque chose qui te dépasse, je t'en prie !

    Le soleil pointe dans l'encadrement de la fenêtre, un soleil éclatant, déversant un flot doré dans la chambre. Une idée de Manar. Mettre des miroirs et des objets réfléchissants un peu partout dans la pièce, pour voir le soleil s'inviter pendant notre sommeil. C'est merveilleux.